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je la veux parce qu'elle y est ; et comprenne qui pourra, mais d'abord le langa-
ge nous tient, et tout ce que nous disons veut développement. Tel est l'inté-
rieur du style, et c'est le style ; et la chose décrite n'est donc pas la seule règle
du bien dire. Ici, et par cette loi même, il faut que les exemples m'accablent.
On dit que l'on aime passionnément ; prophétie à soi ; mais qui donc pense
assez qu'il s'annonce à lui-même esclavage et souffrance ? Bien plus, qui donc
pense ici la passion du Christ, et le calice choisi et repoussé ? Je veux insister
encore, comme fait Comte, sur le double sens du mot peuple, qui veut que la
partie qui travaille soit prise aussitôt pour le tout. Je citerai seulement des
mots comme affection, charité, culte et culture, génie, grâce, noblesse, faveur,
courtisane, esprit, fortune, épreuve, irritation, foi et bonne foi, sentiment, juge-
Alain (Émile Chartier) (1927), Les idées et les âges (livres I à IX) 141
ment, ordre. Chacun de ces mots pose un problème qu'on ne peut changer.
Chacun de ces mots veut être compris, non selon la définition qu'on en voudra
donner, mais selon ce qu'il est. Maintenant j'ai sans doute éclairé assez cette
idée qui choque d'abord, c'est que chacun a premièrement à savoir ce qu'il dit,
et que ce n'est pas un petit travail.
Alain (Émile Chartier) (1927), Les idées et les âges (livres I à IX) 142
Livre V : Les signes
Chapitre VI
Les nourrices
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On se fait une idée maintenant de ce que c'est que l'enseignement des
nourrices, et l'on comprend que, par respecter l'usage, il va bien plus loin
qu'on ne croit. Mais il est à propos de dire comment les choses se passent ; car
tous le voient, et peu le savent. Que l'enfant parle d'abord selon la structure de
son corps, cela ne peut étonner personne. Qu'il parle ainsi son propre langage,
par mouvement, cris variés ou gazouillements, sans savoir le moins du monde
ce qu'il dit, cela n'est pas moins évident. Comment le saurait-il, tant qu'il n'est
pas compris ? Comment comprendrait-il son propre langage tant que personne
ne le lui parle ? C'est pourquoi les très prudentes nourrices essaient d'abord
d'apprendre ce langage, afin de l'apprendre au nourrisson. Quand on remarque
que l'enfant applique d'abord aux objets familiers certains mots qu'il invente,
on oublie que la nourrice ne cesse pas de chercher un sens à ces mots d'une
langue inconnue, et qu'elle en trouve un. Ainsi l'enfant apprend sa propre
langue ; il apprend ce qu'il demande d'après la chose qui lui est donnée. On
devine que par cet échange continuel, les mots du langage enfantin sont
inclinés vers les mots véritables et y ressemblent de plus en plus, par une lente
transformation. Il y a des articulations difficiles ; et puisque l'enfant ne peut
Alain (Émile Chartier) (1927), Les idées et les âges (livres I à IX) 143
prononcer comme la nourrice, la nourrice prononce comme l'enfant. L
remplace R, Z remplace J, et ainsi du reste, et les grammairiens retrouveraient
ici quelque chose de ce qu'ils observent dans le changement des mots. L'enfant
représente l'usage, qui va au plus court ; et la nourrice représente la gram-
maire. On peut supposer, et on a remarqué souvent, que la manière enfantine
de parler, qui est un peu de tous, changerait bien vite une langue sans la
nécessité de comprendre ce qui est écrit, qui conserve l'ancienne coutume. Les
poètes sont bien forts ici, parce qu ils ne supportent pas que la moindre
syllabe soit négligée ; d'où l'on voit que les études classiques continuent le
combat que les nourrices ont commencé. Mais c'est par l'autorité des choses
écrites que l'enfant est soumis plus ou moins à cette condition de renoncer à sa
propre langue et de prendre celle qu'on nomme si bien maternelle. Toutefois,
il y a une exception à cela et peut-être plusieurs. Le nom de maman est reçu
de l'enfant et règne sur les hommes. C'est le premier nom que font les lèvres
lorsqu'elles se séparent selon leur plus ancien mouvement, qui est de téter.
Mais remarquons que l'enfant ne dit point maman ; il dit quelque chose qui en
approche, que l'on lui répète en le changeant un peu. Il est clair que ce premier
mot, si bien attendu, n'est pas choisi arbitrairement ; il est ce qu'il peut être par
la structure de la bouche enfantine.
La langue naturelle, l'unique langue humaine, celle qui dépend seulement
de la structure, naîtrait ainsi, à supposer que des enfants grandissent ensemble
sans jamais avoir à parler qu'entre eux. Et j'ai cru remarquer qu'entre deux
jumeaux que j'ai observés, il a subsisté longtemps quelque trace d'un langage
propre à eux deux. Mais la règle est que les premiers discours sont entre
l'enfant et la mère, sous l'autorité de la mère ; la mère elle-même a égard au
père et à d'autres ; aussi la nourrice. Le langage des poètes et surtout l'écriture
règnent sur eux tous. Le premier effet de la lecture est de subordonner le
ramage enfantin à un certain objet que l'on ne peut fléchir. Si vous écoutez le
langage abrégé, simplifié, rabattu, qui a cours dans les métiers et même dans
la conversation familière, vous comprendrez comment se multiplient les dia-
lectes et les patois, et comment tout langage se perdrait bientôt, en un peuple
qui ne lirait point. Toutefois la simplification ne serait jamais la seule loi. Il y
aura toujours des mots d'importance, et des passions qui donneront importance
à des mots. La violence même y conserve le rauque et le grondant, comme on
voit dans les jurons.
En un peuple qui a des prières, des conjurations, des serments, des chan-
sons et des livres, la situation de l'enfant est qu'il apprend fort vite une langue
qui le dépasse et le dépassera toujours. Et, comme il dit maman sans savoir
d'abord qu'il le dit, de même il parle toujours sans savoir d'abord ce qu'il dit,
attentif aux articulations comme à une chanson. Le sens sera connu d'après les
effets. Mais je ne veux point imaginer cet enfant pensif allant à la recherche
des idées ; un tel enfant n'existe pas et ne peut exister. Les premières expé-
riences de l'enfant ne sont point faites par lui. Il est porté avant de marcher ;
on lui présente des objets avant qu'il les remarque ; on l'instruit avant qu'il
puisse s'instruire. Il est dans l'ordre que l'enfant ait peur du feu avant de savoir
qu'il brûle, et peur de la porte de la cave avant de savoir qu'il y peut tomber.
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L'expérience enfantine a d'abord pour objet des signes ; la première connais-
sance d'un objet est l'imitation d'un signe et d'une suite de signes. La première
connexion entre feu et brûlure est entre le mot feu et le mouvement de se
retirer, détourner ou protéger. Le feu lui-même n'y est d'abord pour rien. Un
chien méchant est perçu par les signes que fait voir la nourrice. Au reste
remarquez que l'expérience qui expliquerait que nous nous garons si bien des
voitures n'a été faite presque par personne. C'est le geste et le cri de l'homme
qui sont ici notre objet. Il est clair que l'enfant périrait par l'expérience avant
de s'instruire par l'expérience ; et cela est vrai de nous tous. C'est pourquoi la
plupart des dangers nous effraient peu au premier moment ; au lieu que la peur
sur un visage effraie le plus brave ; et presque personne ne résiste à un mouve-
ment de terreur panique.
On trouve d'abord à dire, quand on étudie les idées des peuples arriérés,
qu'il est étonnant que les choses ne les aient pas instruits. Mais sommes-nous
tant instruits par les choses ? Même nos paysans, qui tirent tout de la nature
inhumaine, balancent encore à préférer leur propre expérience à la tradition.
Une grande part de nos connaissances à tous porte seulement sur les signes. Il
est clair que c'est la chose enfin qui décidera ; mais, parce que nous avons été
enfants avant d'être hommes, chose que Descartes n'a point dédaigné de dire,
il est dans l'ordre que nous ne commencions point par interroger la chose toute
nue, mais au contraire, que nous allions à la chose déjà tout pourvus de signes, [ Pobierz caÅ‚ość w formacie PDF ]

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